Tuesday, October 04, 2005

Niponnismes

Ryûnosuke Akutagawa, Rashômon et autres contes

Quel étrange univers que celui d’Akutagawa : du personnage obscur et ignoble de Rashomon, errant au milieu des cadavres et dépouillant une pauvre vieille arracheuse de cheveux cadavériques, de son seul vêtement à Goi l’humilié qui se nourrit de l’insatisfaction du désir et d’une espérance perpétuelle, qui, une fois assouvie ou prête de l’être (le désir du prestigieux gruau d’ignames), est très décevante voire repoussante, l’écrivain japonais peint un monde noir et terrible, aux résonances de malaise.
Car que recherchent ses personnages sinon la cruauté, cruauté envers l’autre, lutte de la misère dans une cour des miracles sépulcrale dans Rashômon, quête d’un idéal pictural qui aboutit à l’infanticide comme seule possibilité de sublimation plastique, dans Figures Infernales, récits croisés d’un meurtre et de meurtriers, dans Dans le Fourré, représentation de l’humiliation nasale (Gio ou l’homme au nez rouge) qui se complait dans l’insatisfaction et la souffrance et qui rejette l’idéal atteint ( le fameux gruau d’ignames) dans le Gruau d’ignames…
Akutagawa sait ainsi peindre avec vivacité, à l’aide d’un style alerte et acéré cette souffrance, cette violence au sein de l’être qui pousse au désir d’autodestruction et à l’accomplissement du pire. Les récits d’Akutagawa sont des contes cruels qui mettent à nu les ressorts complexes de la machine masochiste qui constitue l’être torturé, l’être humain en proie au mal et qui cherche à s’en délivrer parfois en l’accomplissant de manière théâtrale et spectaculaire. Akutagawa ou la souffrance exposée par les mots.
Yasunari Kawabata, Pays de Neige

Quel étrange monde que celui de Kawabata. Il y a une tendance prégnante au voyeurisme (est-ce une récurrence dans la littérature japonaise ?) qui ne laisse pas d’être dérangeante, même si elle est un ressort poétique certain dans le cours du récit. La beauté du texte, où la poésie des paysages enneigés se mêle à une histoire d’amour voilée, qui se confine dans l’indicible des regards et des frôlements, entre une jeune femme, Komako, et un voyageur citadin de Tokyo, Shimamura en reste néanmoins intacte. Mais que de troubles et de mystères dans cette relation ambiguë entre un voyageur et une geisha, étrangement présente et absente, qui visite aussi souvent le jeune homme qu’elle le fuit, éphémère, insaisissable comme leur amour, comme leur premier frôlement au miroir d’une vitre embuée, dans un train en partance pour les contrées intérieures du Japon.
Il y a cette poésie de la fulgurance des sentiments chez Kawabata qui en fait un peintre superbe des errances de l’amour et de l’inconsistance des sentiments. Qu’espèrent finalement ces deux êtres qui se croisent dans un pays enneigé, qui s’aiment de manière aussi pure qu’un flocon se déposant sur une branche, que veulent ces amants tous deux déjà promis à quelqu’un d’autre. Recherchent-ils une évasion de leur couple, une solution à leur insatisfaction ? Le récit se clôt sur un suicide, celui de la petite Yôko, prise dans la tourmente d’un amour pour ce même voyageur, qui joue à la séduire. La mort est la seule solution pour mettre fin au jeu cruel des cœurs, pour éterniser, exorciser une vie où les sentiments semblent aussi inconsistants qu’une brume enneigée qui lentement se dissipe…

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