Lecture - 1 - Florian Zeller au vitriol
Florian Zeller – La fascination du pire
De prime abord, tout semble porter à croire que Florian Zeller soit ce genre d’écrivains entre guillemets à rapprocher du jeune loup littéraire aux dents longues qui entend bien se faire la part belle de la notoriété pseudo intellectualisante qui fleurit de nos jours, dramatiquement positionnée au sommet de l’intelligentsia des maisons d’édition. Force est de constater qu’il y a bien un peu de cela, et les marques s’en décèlent rapidement dans une écriture du vide : le narrateur commence par nous raconter la platitude de son existence, et à répéter sans intérêt aucun les lignes et gros titres des journaux, la forme de l’avion, les fantasmes stéréotypés du macho abruti qui rentre dans une carlingue et voit une jolie paire de jambes lui demander d’accrocher sa ceinture.
Le roman (est-ce que c’en est un ? Je risquerais plutôt la dénomination « récit ») commence donc avec tout l’arsenal de la platitude fin de XXe siècle début vingt-et-unième… Parfois, fort heureusement, Florian Zeller s’extrait peu ou prou de la platitude, notamment lors de saillies hors d’un style plat au contenu plat, lorsque le héros, ou anti-héros velléitaire (c’est à la mode…) se prend à considérer la religion ou tente de circonscrire la personnalité complexe de Martin, le lubrique écrivain scandaleux de service, qui cacherait derrière son appétit féroce de la prostituée égyptienne une psychologie plus profonde, un Sade du XXIe siècle, nourrit d’idéaux extrémistes qui tendent à l’amalgame idéologico-religieux.
Florian Zeller s’essaie donc au roman psychologisant à mi-chemin entre le récit de désoeuvrement et d’errances sans intérêt, à travers l’anti-Odyssée d’écrivains qui échouent dans les écueils sordides du Caire entre deux réunions solennelles dont il n’ont finalement cure… Malgré tout, on ne peut pas dire que le style de ce récit soit nul, non, mais il n’est que trop rarement agréable, sans être brillant : l’intérêt du sujet est relatif, même si, heureusement, la fin est meilleure. Plus on progresse dans le récit, plus on sent que Zeller se met à l’aise après des débuts difficiles et aporétiques : le récit gagne en épaisseur, les choses s’approfondissent, la réflexion est plus grande, mais on a toujours l’impression que c’est là le récit d’un témoin, le témoignage d’un jeune écrivain sur un plus vieux aux idées outrancièrement extrémistes qui passent pour révolutionnaires (et l’on va même, de manière totalement démesurée et aberrante, jusqu’à comparer l’écrivain poujadiste à Voltaire !), et la fin de vie en forme d’assassinat, l’enterrement dans l’anonymat qui sacre le libidineux écrivant en héros post-mortem de la liberté d’expression, un écrivain maudit, ça en jette.
La fascination du pire, expression et idée au demeurant séduisante, c’est peut-être surtout la fascination du rien, du pire qui est d’écrire pour ne pas dire grand-chose. Et c’est peut-être l’écueil majeur de ce livre. Mais ne soyons pas trop catégorique : il y a des qualités, des moments où l’auteur est meilleur, mais tout cela est gâché par cette tendance, qui fait très « vécu », très « contemporain » de jeter sa gourme et sa révolte en employant des mots « trashs », comme « pisser », « connard » ou « pute », une façon de dire : « oui, je sais aligner des mots pour faire une phrase correcte, je sais citer du Nietzsche ou du Montaigne, mais c’est du replâtrage intellectuel, une façon de me dire que je n’écris pas sans cerveau, je sais citer, je fais quelques réflexions, mais surtout je suis un révolté et j’utilise parfois des méthodes non-conformistes car je ne suis pas un encroûté du style comme les académiciens et je me réserve le droit de dire « putain », « chier », « bordel », ça fait bien, ça fait révolté, j’exulte, je suis un grand écrivain maudit qui sait écrire et qui en joue, je suis un génie de la provoc’ » (pour approfondissement, voir le maître en la matière, Houellebecq). La fascination du pire, c’est peut-être cette tendance actuelle des écrivains qui s’encanaillent dans le vulgaire, pour mieux montrer qu’ils savent être concrets, réalistes à outrance, qu’ils connaissent la racaille, qu’ils savent s’insurger mais aussi écrire. Formidable. On en redemande.
A la décharge de ce récit (non, ceci n’est pas un roman, pour détourner Magritte : car un roman, c’est une fiction, c’est un univers recréé de toute pièce, pas un écrit où l’on trouve « Juppé » ou un pâle substitut de Jean-François Coppé, pauvrement maquillé en « Cotté »…), il y a tout de même un bel effet final d’emboîtement où l’indécision est de mise, car qui a écrit ce livre ? On n’en doute pas une seconde, mais Florian Zeller essaie de faire douter le lecteur crédule, de jouer à l’avatar du romancier du dix-huitième siècle, qui simule avoir trouvé un récit qu’il publie. Ca pourrait être efficace, mais c’est ici excessif : l’auteur nous annonce d’emblée de faire attention : il ne faut pas croire que tous les personnages de ce roman sont vrais ou représentent des personnages réels, puis à la fin on en remet une couche et l’on réaffirme que ce n’est pas soi-même qui a écrit ce livre, mais un autre ; ça ajouté aux pseudos références littéraires à Flaubert, Montaigne ou d’autres sommités littéraires (des vrais écrivains, avec du style, du talent, des choses à dire et des moyens pour le faire), ça sent de nouveau fortement le replâtrage, la sensation très grande de l’arbre qui cache la forêt, ou plutôt la clairière, cet effet de cache-misère qui entache malheureusement si fréquemment la littérature, ce qui est en tous cas présentée comme tel de nos jours et qui est publiée, oui publiée…
La fascination du pire, c’est se voiler la face et utiliser des substrats littéraires pour donner une contenance, un fond que l’on n’a pas, et y opposer quelques mots pour l’effet de choc, montrer qu’on est de son siècle, mettre un « pisser » pour détonner un peu et envoyer Flaubert en renfort pour montrer que lui aussi parlait comme ça, mais différemment, avec les mots de son siècle. Le problème est que Flaubert était un génie, il avait du style, il savait pourquoi écrire et on a du plaisir à le lire… A la fascination du pire, je proposerait bien une contrepartie, qui serait l’horreur du lire…
De prime abord, tout semble porter à croire que Florian Zeller soit ce genre d’écrivains entre guillemets à rapprocher du jeune loup littéraire aux dents longues qui entend bien se faire la part belle de la notoriété pseudo intellectualisante qui fleurit de nos jours, dramatiquement positionnée au sommet de l’intelligentsia des maisons d’édition. Force est de constater qu’il y a bien un peu de cela, et les marques s’en décèlent rapidement dans une écriture du vide : le narrateur commence par nous raconter la platitude de son existence, et à répéter sans intérêt aucun les lignes et gros titres des journaux, la forme de l’avion, les fantasmes stéréotypés du macho abruti qui rentre dans une carlingue et voit une jolie paire de jambes lui demander d’accrocher sa ceinture.
Le roman (est-ce que c’en est un ? Je risquerais plutôt la dénomination « récit ») commence donc avec tout l’arsenal de la platitude fin de XXe siècle début vingt-et-unième… Parfois, fort heureusement, Florian Zeller s’extrait peu ou prou de la platitude, notamment lors de saillies hors d’un style plat au contenu plat, lorsque le héros, ou anti-héros velléitaire (c’est à la mode…) se prend à considérer la religion ou tente de circonscrire la personnalité complexe de Martin, le lubrique écrivain scandaleux de service, qui cacherait derrière son appétit féroce de la prostituée égyptienne une psychologie plus profonde, un Sade du XXIe siècle, nourrit d’idéaux extrémistes qui tendent à l’amalgame idéologico-religieux.
Florian Zeller s’essaie donc au roman psychologisant à mi-chemin entre le récit de désoeuvrement et d’errances sans intérêt, à travers l’anti-Odyssée d’écrivains qui échouent dans les écueils sordides du Caire entre deux réunions solennelles dont il n’ont finalement cure… Malgré tout, on ne peut pas dire que le style de ce récit soit nul, non, mais il n’est que trop rarement agréable, sans être brillant : l’intérêt du sujet est relatif, même si, heureusement, la fin est meilleure. Plus on progresse dans le récit, plus on sent que Zeller se met à l’aise après des débuts difficiles et aporétiques : le récit gagne en épaisseur, les choses s’approfondissent, la réflexion est plus grande, mais on a toujours l’impression que c’est là le récit d’un témoin, le témoignage d’un jeune écrivain sur un plus vieux aux idées outrancièrement extrémistes qui passent pour révolutionnaires (et l’on va même, de manière totalement démesurée et aberrante, jusqu’à comparer l’écrivain poujadiste à Voltaire !), et la fin de vie en forme d’assassinat, l’enterrement dans l’anonymat qui sacre le libidineux écrivant en héros post-mortem de la liberté d’expression, un écrivain maudit, ça en jette.
La fascination du pire, expression et idée au demeurant séduisante, c’est peut-être surtout la fascination du rien, du pire qui est d’écrire pour ne pas dire grand-chose. Et c’est peut-être l’écueil majeur de ce livre. Mais ne soyons pas trop catégorique : il y a des qualités, des moments où l’auteur est meilleur, mais tout cela est gâché par cette tendance, qui fait très « vécu », très « contemporain » de jeter sa gourme et sa révolte en employant des mots « trashs », comme « pisser », « connard » ou « pute », une façon de dire : « oui, je sais aligner des mots pour faire une phrase correcte, je sais citer du Nietzsche ou du Montaigne, mais c’est du replâtrage intellectuel, une façon de me dire que je n’écris pas sans cerveau, je sais citer, je fais quelques réflexions, mais surtout je suis un révolté et j’utilise parfois des méthodes non-conformistes car je ne suis pas un encroûté du style comme les académiciens et je me réserve le droit de dire « putain », « chier », « bordel », ça fait bien, ça fait révolté, j’exulte, je suis un grand écrivain maudit qui sait écrire et qui en joue, je suis un génie de la provoc’ » (pour approfondissement, voir le maître en la matière, Houellebecq). La fascination du pire, c’est peut-être cette tendance actuelle des écrivains qui s’encanaillent dans le vulgaire, pour mieux montrer qu’ils savent être concrets, réalistes à outrance, qu’ils connaissent la racaille, qu’ils savent s’insurger mais aussi écrire. Formidable. On en redemande.
A la décharge de ce récit (non, ceci n’est pas un roman, pour détourner Magritte : car un roman, c’est une fiction, c’est un univers recréé de toute pièce, pas un écrit où l’on trouve « Juppé » ou un pâle substitut de Jean-François Coppé, pauvrement maquillé en « Cotté »…), il y a tout de même un bel effet final d’emboîtement où l’indécision est de mise, car qui a écrit ce livre ? On n’en doute pas une seconde, mais Florian Zeller essaie de faire douter le lecteur crédule, de jouer à l’avatar du romancier du dix-huitième siècle, qui simule avoir trouvé un récit qu’il publie. Ca pourrait être efficace, mais c’est ici excessif : l’auteur nous annonce d’emblée de faire attention : il ne faut pas croire que tous les personnages de ce roman sont vrais ou représentent des personnages réels, puis à la fin on en remet une couche et l’on réaffirme que ce n’est pas soi-même qui a écrit ce livre, mais un autre ; ça ajouté aux pseudos références littéraires à Flaubert, Montaigne ou d’autres sommités littéraires (des vrais écrivains, avec du style, du talent, des choses à dire et des moyens pour le faire), ça sent de nouveau fortement le replâtrage, la sensation très grande de l’arbre qui cache la forêt, ou plutôt la clairière, cet effet de cache-misère qui entache malheureusement si fréquemment la littérature, ce qui est en tous cas présentée comme tel de nos jours et qui est publiée, oui publiée…
La fascination du pire, c’est se voiler la face et utiliser des substrats littéraires pour donner une contenance, un fond que l’on n’a pas, et y opposer quelques mots pour l’effet de choc, montrer qu’on est de son siècle, mettre un « pisser » pour détonner un peu et envoyer Flaubert en renfort pour montrer que lui aussi parlait comme ça, mais différemment, avec les mots de son siècle. Le problème est que Flaubert était un génie, il avait du style, il savait pourquoi écrire et on a du plaisir à le lire… A la fascination du pire, je proposerait bien une contrepartie, qui serait l’horreur du lire…
2 Comments:
J'eus été encore plus sévère avec le sieur Zeller, mais beaucoup moins persuasif et argumenté que toi. Excellente critique!
Merci.
Décidément, on s'en envoie des fleurs!
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