Ouverture
Pour ouvrir le bal du blog littéraire, apte à épancher le surplus littéraro cathartique qui parfois traverse ma modeste personne - si si ça arrive - je jette avec désinvolture dans la pâture cybernétique ma théorie de la littérature. Ca vaut ce que ça vaut.
De l’essence de la littérature : une poétique de l’indicible
(lettre ouverte pour une littérature de la profondeur)
Il est indéniable que tout écrivain soit poussé par un besoin d’écrire : c’est ce qui fait sa raison de vivre. Cependant, bon nombre de personnes écrivant cherchent en mille recoins des idées d’ouvrages, des thèmes à aborder, juste pour le plaisir d’écrire. Pire, ils publient leurs ouvrages motivés par le seul besoin d’écrire sans autre but réel. Cela me semble aller dans un sens contraire à la véritable littérature. Un écrivain doit, à mon sens, chercher à exprimer ce qu’il a au fond de soi, dans un perpétuel mouvement de forage intérieur qui le pousse aux limites de sa propre création, aux limites des mots et du dicible, aux limites de l’existence.
D’aucuns veulent écrire pour écrire, pour faire paraître, publier, être connu, oubliant dans cet objectif narcissique et mercantile la véritable essence de la création littéraire. Certes, il faut vendre mais pas pour vendre, pour être lu car l’écrivain ne vit, ne survit, n’existe que par ce lien indissoluble qui le rattache à son lecteur, toujours multiple, toujours autre, mais qui n’est qu’une image de lui-même revivant à travers des mots parcourus par d’innombrables regards. L’écueil, fortement répandu de nos jours, serait donc de chercher à tous prix LE sujet, celui qui racole, celui qui fait vendre, qui fait connaître, qui rend célèbre son auteur, si tant est que l’on puisse être réellement célèbre en écrivant de nos jours, si ce n’est dans le cercle de plus en plus restreint des lecteurs un tant soit peu lettrés, affranchis un minimum de l’influence télévisuelle débilitante, et cherchant, sans l’occulter, à en faire la part de médiocrité mais de réjouissance, en lui accordant la place minimale qui doit lui être dévolue.
On voit donc ainsi se pavaner dans les salons huppés de la capitale des écrivains relevant le menton d’un air de prophète inspiré, toisant la foule et le vulgaire parce qu’ils ont publié un ouvrage chez Plon ou Grasset, ou bien chez Gallimard et qu’ils ont souscrit, par leurs écrits médiocres, avalisé en quelque sorte, la tendance qui veut que l’on écrive pour ne rien dire, pour blanchir des pages, pour offrir du divertissement, pour se donner des airs de grands génies sans en avoir même la moindre étincelle.
Dégonflons les baudruches, elles retomberont comme un soufflé refroidi. Ces auteurs paraissent revivre comme des portraits de La Bruyère en actes dans leur inconsistance d’écrivants. Il faut alors, pour le lecteur moderne, démêler l’écheveau de l’innombrable foule des écrivains postiches pour trouver, au milieu de ces pseudo auteurs, arbres qui masquent la forêt du génie littéraire, les véritables écrivains, ceux qui ont des choses à dire, ceux qui ne sont pas en perpétuelle quête d’une chose à écrire, en panne et cherchant la pompe à essence qui leur fournira leur prochain succès populaire. Car ces écrivains véritables existent, ils ne cherchent pas de sujets pour écrire puisque leur sujet est contenu en eux, leur sujet est eux-mêmes, leur sujet est une recherche, une recherche toute proustienne, qui consiste à extraire de soi la quintessence de son rapport au monde, par un travail continuel autour des mots.
Il est bien difficile de reconnaître ces véritables écrivains dans les rayons des libraires ou dans les allées des bibliothèques, pour la bonne et simple raison que l’époque où nous vivons, se nourrissant de l’amalgame le plus grossier, fait passer pour de la littérature ces mêmes écrivants dont nous venons de parler, ceux qui écrivent pour produire sans rien apporter, ceux qui se gonflent d’un orgueil sans fondement, ceux que la population exalte car ils arrivent facilement à lire leurs ouvrages, nourris de phrases simples, des sujets-verbes-compléments accessibles à tous. De la vulgarisation littéraire, est-ce de la littérature ? La réponse est évidente…
Mon but n’est pas de prôner un art élitiste, mallarméen, auxquels seuls les plus cultivés pourraient avoir accès, une sorte de gotha littéraire suffisant et fat. Non. Il me semble que l’écrivain véritable est celui qui sait se rendre accessible à tous, mais qui contente aussi bien la population dans son ensemble que les lecteurs cultivés, universitaires, lettrés. C’est un art difficile que celui qui consiste à tenter de faire le grand écart entre la simplicité relative et la profondeur enrichissante et heuristique. Mais il me semble que la littérature, tout en cherchant à exprimer le plus profond d’un être, dans une recherche permanente de l’indicible, se doit de faire ce formidable effort de se rendre universel, sans quoi l’échec est inévitable. Ni nourriture élitiste, ni vulgarisation inconsistante, la littérature se doit d’être une quête ontologique livrée aux hommes, à tous les hommes, qui doit faire sentir à tout lecteur qu’il est embarqué dans une aventure dont il ressortira changé, qui modifiera en profondeur sa perception de l’existence, lui fera éprouver un plaisir des mots comme un bouleversement intérieur. La littérature doit donc être un examen de soi, alliant plaisir du langage et profondeur de l’analyse existentielle dans la confrontation de l’être écrivant au monde.
J’appelle donc le lecteur à la vigilance, à la clairvoyance, à lire entre les lignes, à faire tomber les faux miroirs pour se plonger dans les grands miroirs, les miroirs dépolis, ceux qui captivent notre regard en le détournant, qui nous renvoient de manière puissante à notre propre condition avec un plaisir indéniable. Derrière le chaos et le vide, voyons donc les mots porteurs de sens. Cette courte réflexion sonne donc comme un appel à la lucidité, un plaidoyer pour une lecture de la profondeur, pour une écriture du moi qui s’affranchisse de la surface inconsistante des mots vides de sens, pour creuser les images du langage et offrir un paradis du style bouleversant l’existence, une littérature-expérience.
Poétique de l’indicible
Ecrire, pour quoi faire ? Reprendre cette question détournée d’un titre ô combien célèbre du non mois célèbre essai d’un grand auteur, c’est prendre le risque de ressasser une interrogation qui a traversé l’esprit de millions d’auteurs et qui, pourtant, elle essentielle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle demeure toujours comme on dit prosaïquement, « d’actualité » : personne n’y trouve de réponses aussi la question reste-t-elle, et restera-t-elle probablement à jamais, posée et reposée. Tout être écrivant, comme le nomme Barthes avec une grande pertinence, se trouve à un moment ou à un autre, la plupart du temps à la lisière de son entreprise créatrice, confronté à ce problème insoluble. Chaque écrivant et écrivain y propose sa solution inexorablement incomplète et inadéquate, tentative de réponse malgré tout.
L’auteur de ces réflexions est quant à lui absolument persuadé que le fondement essentiel de l’écriture demeure dans cette quête impossible, et peut-être est-ce parce qu’elle est impossible qu’elle peut former la base indissoluble de la création littéraire. Que ce soit la quête de l’essence du sentiment amoureux, du sens de l’existence, de la nature du monde, les questions les plus belles sont celles qui sont sans réponse. L’écriture, et la littérature, se doivent de répondre aux questions impossibles, par cela même qu’elles restent vaines. Mais, à y bien réfléchir, elles ne sont pas si vaines qu’elles peuvent le paraître, car elles produisent le littéraire (mais aussi tout art en général), et surtout, on y apprend à penser le vivre, à mieux vivre, à vivre en pleine conscience des manques essentiels de l’existence.
Fort de ces convictions, l’auteur fera de cette poétique de l’indicible la base même de son écriture : plonger dans les méandres du monde, sonder les abîmes de l’existence, n’est-ce pas là le propre de la littérature ? L’auteur revendique l’héritage de l’inénarrable Proust, explorateur sublime des parfums de l’existence, qui a su descendre dans les cavernes obscures de la mémoire pour y puiser la source remarquable d’une œuvre cathédrale du souvenir et de la réminiscence. L’auteur revendique Virginia, poète du mal être, dont l’œuvre bouleversante a su tremper sa plume abondamment à l’encre du malaise existentiel. Ô Virginia, être voué à la déchirure du vivre, combien tes lignes sont superbes quand elles s’impriment de la teinte ténébreuse d’une angoisse infinie de tous les instants. Tu as su, avec une poésie infinie, faire de ton œuvre le souffle du malheur, le halètement rauque des abois au détour de chaque mot : ton œuvre s’est faite agonie, la perpétuant à jamais dans le cœur des lecteurs à venir.
Dans ce tableau des illustres devanciers, l’auteur ne peut passer au-delà de l’évocation de ceux dont les lignes l’ont à jamais voué à l’écriture et à la lecture de l’être-au-monde de la littérature : Gracq et Chateaubriand, le bien nommé, dont la brillance se reflète abondamment dans le génie du style. L’auteur prendra volontiers à son compte cette citation d’un naturaliste fondateur : « le style, c’est l’homme même ». L’essence de la littérature, c’est le style : il doit dire l’homme, dire le monde, les sentiments, le vivre, l’existence insatisfaite comme les bouffées de plénitude, ces sublimes « moments of being » du génie woolfien. Gracq et Chateaubriand ont cela de fondateur qu’ils emplissent la matière littéraire d’un gonflement du style qui est enivrement du monde par l’écriture : la phrase devient buvard, absorbant l’espace du réel pour le déverser dans l’espace littéraire, réceptacle formidable de toutes les amplitudes. Un souffle. L’écriture respire, elle doit respirer. Elle caracole à larges bouffées sous la plume du génie de Combourg comme sous celle de l’enchanteur de Saint-Florent le vieil. La littérature inspire le monde et l’expire par le style. Aussi doit-on sagement se garder des phrases trop courtes, halètement si trivial de nos jours et qui fait du littéraire un essoufflement, une agonie, le conduisant à l’aporie et au dégoût du lecteur.
L’auteur prend le parti, si osé soit-il en ce temps du syncopé et du balbutiement stylistique, d’une phrase qui boit le monde à pleines gorgées, et qui fait du lecteur un compagnon essentiel dans cet enivrement de l’ambroisie des mots. Suivant la trace des mages de Combourg et Saint-Florent, modestement et pleinement conscient de son infériorité fondamentale face à ces divinités littéraires, l’auteur n’aura de cesse de questionner le monde et la vie à l’aune d’un style regorgeant de sa plénitude et de son mal-être. Tel est son parti-pris, tel est, selon lui, le chemin unique pour faire de l’écrivant un écrivain.
De l’essence de la littérature : une poétique de l’indicible
(lettre ouverte pour une littérature de la profondeur)
Il est indéniable que tout écrivain soit poussé par un besoin d’écrire : c’est ce qui fait sa raison de vivre. Cependant, bon nombre de personnes écrivant cherchent en mille recoins des idées d’ouvrages, des thèmes à aborder, juste pour le plaisir d’écrire. Pire, ils publient leurs ouvrages motivés par le seul besoin d’écrire sans autre but réel. Cela me semble aller dans un sens contraire à la véritable littérature. Un écrivain doit, à mon sens, chercher à exprimer ce qu’il a au fond de soi, dans un perpétuel mouvement de forage intérieur qui le pousse aux limites de sa propre création, aux limites des mots et du dicible, aux limites de l’existence.
D’aucuns veulent écrire pour écrire, pour faire paraître, publier, être connu, oubliant dans cet objectif narcissique et mercantile la véritable essence de la création littéraire. Certes, il faut vendre mais pas pour vendre, pour être lu car l’écrivain ne vit, ne survit, n’existe que par ce lien indissoluble qui le rattache à son lecteur, toujours multiple, toujours autre, mais qui n’est qu’une image de lui-même revivant à travers des mots parcourus par d’innombrables regards. L’écueil, fortement répandu de nos jours, serait donc de chercher à tous prix LE sujet, celui qui racole, celui qui fait vendre, qui fait connaître, qui rend célèbre son auteur, si tant est que l’on puisse être réellement célèbre en écrivant de nos jours, si ce n’est dans le cercle de plus en plus restreint des lecteurs un tant soit peu lettrés, affranchis un minimum de l’influence télévisuelle débilitante, et cherchant, sans l’occulter, à en faire la part de médiocrité mais de réjouissance, en lui accordant la place minimale qui doit lui être dévolue.
On voit donc ainsi se pavaner dans les salons huppés de la capitale des écrivains relevant le menton d’un air de prophète inspiré, toisant la foule et le vulgaire parce qu’ils ont publié un ouvrage chez Plon ou Grasset, ou bien chez Gallimard et qu’ils ont souscrit, par leurs écrits médiocres, avalisé en quelque sorte, la tendance qui veut que l’on écrive pour ne rien dire, pour blanchir des pages, pour offrir du divertissement, pour se donner des airs de grands génies sans en avoir même la moindre étincelle.
Dégonflons les baudruches, elles retomberont comme un soufflé refroidi. Ces auteurs paraissent revivre comme des portraits de La Bruyère en actes dans leur inconsistance d’écrivants. Il faut alors, pour le lecteur moderne, démêler l’écheveau de l’innombrable foule des écrivains postiches pour trouver, au milieu de ces pseudo auteurs, arbres qui masquent la forêt du génie littéraire, les véritables écrivains, ceux qui ont des choses à dire, ceux qui ne sont pas en perpétuelle quête d’une chose à écrire, en panne et cherchant la pompe à essence qui leur fournira leur prochain succès populaire. Car ces écrivains véritables existent, ils ne cherchent pas de sujets pour écrire puisque leur sujet est contenu en eux, leur sujet est eux-mêmes, leur sujet est une recherche, une recherche toute proustienne, qui consiste à extraire de soi la quintessence de son rapport au monde, par un travail continuel autour des mots.
Il est bien difficile de reconnaître ces véritables écrivains dans les rayons des libraires ou dans les allées des bibliothèques, pour la bonne et simple raison que l’époque où nous vivons, se nourrissant de l’amalgame le plus grossier, fait passer pour de la littérature ces mêmes écrivants dont nous venons de parler, ceux qui écrivent pour produire sans rien apporter, ceux qui se gonflent d’un orgueil sans fondement, ceux que la population exalte car ils arrivent facilement à lire leurs ouvrages, nourris de phrases simples, des sujets-verbes-compléments accessibles à tous. De la vulgarisation littéraire, est-ce de la littérature ? La réponse est évidente…
Mon but n’est pas de prôner un art élitiste, mallarméen, auxquels seuls les plus cultivés pourraient avoir accès, une sorte de gotha littéraire suffisant et fat. Non. Il me semble que l’écrivain véritable est celui qui sait se rendre accessible à tous, mais qui contente aussi bien la population dans son ensemble que les lecteurs cultivés, universitaires, lettrés. C’est un art difficile que celui qui consiste à tenter de faire le grand écart entre la simplicité relative et la profondeur enrichissante et heuristique. Mais il me semble que la littérature, tout en cherchant à exprimer le plus profond d’un être, dans une recherche permanente de l’indicible, se doit de faire ce formidable effort de se rendre universel, sans quoi l’échec est inévitable. Ni nourriture élitiste, ni vulgarisation inconsistante, la littérature se doit d’être une quête ontologique livrée aux hommes, à tous les hommes, qui doit faire sentir à tout lecteur qu’il est embarqué dans une aventure dont il ressortira changé, qui modifiera en profondeur sa perception de l’existence, lui fera éprouver un plaisir des mots comme un bouleversement intérieur. La littérature doit donc être un examen de soi, alliant plaisir du langage et profondeur de l’analyse existentielle dans la confrontation de l’être écrivant au monde.
J’appelle donc le lecteur à la vigilance, à la clairvoyance, à lire entre les lignes, à faire tomber les faux miroirs pour se plonger dans les grands miroirs, les miroirs dépolis, ceux qui captivent notre regard en le détournant, qui nous renvoient de manière puissante à notre propre condition avec un plaisir indéniable. Derrière le chaos et le vide, voyons donc les mots porteurs de sens. Cette courte réflexion sonne donc comme un appel à la lucidité, un plaidoyer pour une lecture de la profondeur, pour une écriture du moi qui s’affranchisse de la surface inconsistante des mots vides de sens, pour creuser les images du langage et offrir un paradis du style bouleversant l’existence, une littérature-expérience.
Poétique de l’indicible
Ecrire, pour quoi faire ? Reprendre cette question détournée d’un titre ô combien célèbre du non mois célèbre essai d’un grand auteur, c’est prendre le risque de ressasser une interrogation qui a traversé l’esprit de millions d’auteurs et qui, pourtant, elle essentielle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle demeure toujours comme on dit prosaïquement, « d’actualité » : personne n’y trouve de réponses aussi la question reste-t-elle, et restera-t-elle probablement à jamais, posée et reposée. Tout être écrivant, comme le nomme Barthes avec une grande pertinence, se trouve à un moment ou à un autre, la plupart du temps à la lisière de son entreprise créatrice, confronté à ce problème insoluble. Chaque écrivant et écrivain y propose sa solution inexorablement incomplète et inadéquate, tentative de réponse malgré tout.
L’auteur de ces réflexions est quant à lui absolument persuadé que le fondement essentiel de l’écriture demeure dans cette quête impossible, et peut-être est-ce parce qu’elle est impossible qu’elle peut former la base indissoluble de la création littéraire. Que ce soit la quête de l’essence du sentiment amoureux, du sens de l’existence, de la nature du monde, les questions les plus belles sont celles qui sont sans réponse. L’écriture, et la littérature, se doivent de répondre aux questions impossibles, par cela même qu’elles restent vaines. Mais, à y bien réfléchir, elles ne sont pas si vaines qu’elles peuvent le paraître, car elles produisent le littéraire (mais aussi tout art en général), et surtout, on y apprend à penser le vivre, à mieux vivre, à vivre en pleine conscience des manques essentiels de l’existence.
Fort de ces convictions, l’auteur fera de cette poétique de l’indicible la base même de son écriture : plonger dans les méandres du monde, sonder les abîmes de l’existence, n’est-ce pas là le propre de la littérature ? L’auteur revendique l’héritage de l’inénarrable Proust, explorateur sublime des parfums de l’existence, qui a su descendre dans les cavernes obscures de la mémoire pour y puiser la source remarquable d’une œuvre cathédrale du souvenir et de la réminiscence. L’auteur revendique Virginia, poète du mal être, dont l’œuvre bouleversante a su tremper sa plume abondamment à l’encre du malaise existentiel. Ô Virginia, être voué à la déchirure du vivre, combien tes lignes sont superbes quand elles s’impriment de la teinte ténébreuse d’une angoisse infinie de tous les instants. Tu as su, avec une poésie infinie, faire de ton œuvre le souffle du malheur, le halètement rauque des abois au détour de chaque mot : ton œuvre s’est faite agonie, la perpétuant à jamais dans le cœur des lecteurs à venir.
Dans ce tableau des illustres devanciers, l’auteur ne peut passer au-delà de l’évocation de ceux dont les lignes l’ont à jamais voué à l’écriture et à la lecture de l’être-au-monde de la littérature : Gracq et Chateaubriand, le bien nommé, dont la brillance se reflète abondamment dans le génie du style. L’auteur prendra volontiers à son compte cette citation d’un naturaliste fondateur : « le style, c’est l’homme même ». L’essence de la littérature, c’est le style : il doit dire l’homme, dire le monde, les sentiments, le vivre, l’existence insatisfaite comme les bouffées de plénitude, ces sublimes « moments of being » du génie woolfien. Gracq et Chateaubriand ont cela de fondateur qu’ils emplissent la matière littéraire d’un gonflement du style qui est enivrement du monde par l’écriture : la phrase devient buvard, absorbant l’espace du réel pour le déverser dans l’espace littéraire, réceptacle formidable de toutes les amplitudes. Un souffle. L’écriture respire, elle doit respirer. Elle caracole à larges bouffées sous la plume du génie de Combourg comme sous celle de l’enchanteur de Saint-Florent le vieil. La littérature inspire le monde et l’expire par le style. Aussi doit-on sagement se garder des phrases trop courtes, halètement si trivial de nos jours et qui fait du littéraire un essoufflement, une agonie, le conduisant à l’aporie et au dégoût du lecteur.
L’auteur prend le parti, si osé soit-il en ce temps du syncopé et du balbutiement stylistique, d’une phrase qui boit le monde à pleines gorgées, et qui fait du lecteur un compagnon essentiel dans cet enivrement de l’ambroisie des mots. Suivant la trace des mages de Combourg et Saint-Florent, modestement et pleinement conscient de son infériorité fondamentale face à ces divinités littéraires, l’auteur n’aura de cesse de questionner le monde et la vie à l’aune d’un style regorgeant de sa plénitude et de son mal-être. Tel est son parti-pris, tel est, selon lui, le chemin unique pour faire de l’écrivant un écrivain.
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