Tuesday, October 04, 2005

Chevillard chevillé au corps

Eric Chevillard

Palafox


Comment passer de l’univers obscur de Millet aux riantes logorrhées de Chevillard ? , autant passer d’un extrême à un autre, et pourtant les deux séduisent, mais d’une manière différente. Quel étrange animal protéiforme que ce Palafox aux mille visages, qui ne semble qu’un prétexte à Chevillard pour mener tambour battant une prose riche et fantaisiste. Quelle bouffée nous envahit lorsque l’on lit Palafox ! On semble en perpétuel mouvement, comme si les lignes jouaient avec nous à saute-mouton ; quel brio ! je dirais même quel maestro dans le style, c’est épatant. Non content d’écrire avec talent, Chevillard sait créer un univers riche, varié, et surtout d’une imagination et d’une inventivité hors norme. La course-poursuite menée par les savants derrière Palafox ressemble alors à une épopée de pacotille, une battue à rebous, loufoque, dérisoire, drolatique, mais ô combien bien remarquable car soutenue par un brio stylistique et une écriture corrosive à souhait !
Car lire du Chevillard, c’est se plonger dans les plis et replis d’une écriture fascinante. Rien ne lasse chez Chevillard, mais tout semble passer et repasser pour mieux fustiger la reprise et en faire une force incomparable de variation digne des meilleures symphonies. Outre les incessantes transformations et quasi mutations de Palafox, ce qui fait la force de Chevillard est de pouvoir asseoir dans son écriture, combiner avec une alchimie qui m’était jusque-là inconnue, mis à part dans la verve rabelaisienne, le plaisir heureux du verbe, l’ironie la plus acerbe, et la beauté remarquable de la langue. On s’amuse chez Chevillard, mais on s’amuse dans les hauteurs du style et aux confins des sommets les plus élevés des montagnes de l’intelligence. A le lire, on semble voguer dans un plaisir intellectuel non rébarbatif, on a l’impression que tout le monde pourrait suivre ces courses poursuites qui finissent en eau de boudin, mais que Chevillard sait ménager une double lecture, comme si Palafox était un petit Prince épique version battue tragi-comique.
La fin de Palafox résonne comme l’ensemble du roman, dans une tonalité où le comique est poussé jusqu’à ses limites extrêmes. Le protée Palafox obtient une victoire ultime sur ses poursuivants en réussissant post-mortem une dernière métamorphose qui le pérennise et finit par le libérer à jamais de la poursuite oppressante des scientifiques fanatiques et cocasses : l’empaillage de Palafox est donc une pétrification salvatrice en forme de pied de nez ultime à la course à l’exploitation animale. L’auteur se fait un Brigitte Bardot a rebours, il sauve Palafox, c’est-à-dire tous les animaux, oiseaux, reptiles, poissons, mammifères, carnassiers et j’en passe, mais ce sauvetage ne peut se faire que par la survivance artificielle de l’empaillage. Pour survivre, l’animal doit mourir.
Que dire d’autre sinon que Chevillard mérite ô combien d’être lu, ne serait-ce que pour une fois au moins savoir ce que c’est que de lire intelligent en s’amusant, bref passer un vrai moment d’amusement intellectuel et profond, sans toutefois se prendre trop au sérieux…

Le Vaillant petit Tailleur

Le dernier ouvrage de Chevillard confine souvent avec le commentaire méta textuel. Plus qu’un écrivain, il semble être un metteur en scène littéraire. Reprenant à son « conte » le récit initial des frères Grimm, sondant les origines obscures de l’histoire du petit tailleur, un conte de grands-mères, il rebâti ce conte en exploitant diverses pistes qui restaient jusque-là dans l’ombre, constituant ainsi des myriades de petits chemins qui gravitent autour de l’histoire initiale.
Avec le brio humoristique et stylistique qu’on lui connaît, Eric Chevillard sait peindre les soubresauts de son héros et l’entrecouper d’autres contes à la structure plus canoniques, comme s’il voulait construire une macrostructure ouverte du conte du vaillant petit tailleur capable d’accueillir en lui toute une virtualité de contes parfois avortés, parfois entiers, capable tout du moins de constituer un terreau propice à l’éclosion, à l’explosion d’un imaginaire littéraire de conteur des plus détonnant. Ainsi Eric Chevillard « taille » son récit et épingles les stéréotypes littéraires comme le petit tailleur épingle les mouches pour mieux donner à son lecteur l’inexprimable suc littéraire qui fait le succès et la tonalités particulière de ses récits savoureux.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home